La revanche de la machine
installation pour Les rencontres de Molsheim (4ème prix du jury, 4ème prix du public) “Underwood”, rubans de métal, mots, terre septembre 2004
Elle les avait écrits patiemment, les contrats, les mises en demeure, les polices d’assurances et les procès verbaux.
La secrétaire, jeune ou revêche, le directeur, affable ou cassant, les avaient dictés et tapés avec ennui et professionnalisme, en rêvant peut-être d’autres textes qu’ils auraient voulus écrire, lettres d’amour, roman d’aventure, déclaration de rupture torturée, missive anonyme pleine de fiel, de rancoeur et de vulgarité sordides. Elle les avait vu passer, les directeurs et les secrétaires fins ou obèses, obséquieux ou vaniteux. Elle les avait vus mettre sous enveloppe et disparaître à jamais, ces lettres si importantes. Et tous les soirs, on la rangeait sous une gaine de plastique vert qui la protégeait de la poussière et de la vie. Et enfin, après des années d’ennui et d’inutilité, elle tenait sa revanche. Là, sur la terre, enfouie à demi sous la terre de décharge où on l’avait mise au rebus, elle avait créé ses propres mots, des mots de fer et de sang rouillé, ses propres lettres d’amour insensées, le roman d’une aventure qui n’avait jamais eu lieu, son histoire anonyme remplie d’une violence vitale qu’elle n’avait pourtant jamais connue…
Didier Course